Plusieurs États auraient, reçu le 11 aout dernier, par le biais de leurs chancelleries, un courrier officiel émanant des autorités saoudiennes dans lequel, l’Arabie Saoudite évoque l’assassinat de l’homme d’affaires saoudien Mohamed al-Ruwaily tué en Thaïlande il y a vingt ans (voir une copie du courrier en bas de page).
Dans ce document, elle demande aux destinataires de faire pression sur le gouvernement thaïlandais pour qu’il assume ses responsabilités dans cette affaire et procède à la révision du procès de deux inculpés, "loin de tout interventionnisme politique".
L’affaire est loin d’être anodine. Loin de là, car elle empoisonne les relations des deux pays. Dix sept personnes ont été tuées : quatre Saoudiens, six Thaïlandais et sept Singapouriens. Mohamed al-Ruwaily qui est mentionné dans le document diplomatique n’est pas mort, hier ou avant-hier, mais kidnappé en Thaïlande, et ce depuis 1990. Il aurait été torturé puis assassiné.
Retour aux origines du conflit entre l'Arabie saoudite et la Thaïlande : un « polar » dans lequel se mêlent vols de diamants, meurtres et corruption
Cette affaire [1] remonte au mois de juin 1989, lorsqu'un travailleur Thaï, Kriangkrai Techamong, agent d'entretien employé par le prince Fayçal ben Fahd, subtilisa 90 kilos de bijoux (d'une valeur de plus de 20 millions de dollars) à son employeur.
Le prince Fayçal qui devait s’absenter pour une longue période de l’Arabie Saoudite a ordonné de nettoyer tout son palais…. Kriangkrai fut chargé de cette tâche, étant fort apprécié par son patron qui lui vouait une absolue confiance.
Kriangkrai a profité de l’aubaine, pour réussir le vol du siècle… il renversa une bassine d'eau sale sur la moquette, obligeant le gardiennage de sécurité à débrancher l'alarme électronique …puis la nuit, il a pu tranquillement dévaliser les coffres et dérober le trésor du prince. Des pièces uniques, des rubis, des saphirs et surtout un inestimable diamant bleu de 70 carats.
Sachant que Fayçal ben Fahd ne serait pas de retour avant au moins trois mois, l’Arsène Lupin Thaï prit son tout son temps….expédiant la plupart des pierres par la poste, et les plus belles dans ses bagages, en s’enfuyant début août, sous prétexte d'aller rendre visite à son père mourant.
De retour en Thaïlande, Kriangkrai a mené une joyeuse vie à Bangkok, avant de rentrer dans son village de la province de Lampang, ou il a construit une belle maison, et continua son train de vie.
Quelques mois plus tard, en janvier 1990, le commissaire de police Chalor a fini par retrouver la piste de Kriangkrai qui a été arrêté. La police a également pu récupérer les pierres volées. …Une énorme opération de communication s’en est suivie au cours de laquelle, les pierres ont été exposées par la police, fière d'avoir dénouée l’intrigue…. Les bijoux ont été ensuite restituées l'Arabie Saoudite.
Série de meurtres et arnaque
A la réception de son « trésor », le prince Fayçal ben Fahd a remarqué que plus de la moitié des pièces manquaient et que celles restituées n'étaient que de vulgaires copies. Pourtant, parmi les pierres « disparues » certaines ont été identifiées lors de l’opération de communication organisée par la police à la télévision et dans les photos des journaux thaïs.
Le gouvernement saoudien a donc chargé trois de ses diplomates basés à Bangkok de demander des explications auprès des autorités thaïlandaises. Le 1er février 1990, ces diplomates ont été abattus dans la rue par un tueur. Aucun des policiers de leur escorte personnelle ne fut touché.
Mohamed al-Ruwaily, un homme d'affaires saoudien a été engagé pour mener l'enquête pour le compte du prince….Il fut enlevé par des policiers thaïs, torturé puis tué.
L’Arabie Saoudite a rappelé son ambassadeur suite à ce deuxième grave incident et prit la décision de bloquer l’émission de nouveaux visas pour les travailleurs migrants thaïs …A l'époque 250. 000 travailleurs haïs étaient en Arabie Saoudite et envoyaient en moyenne 340 dollars mensuellement à leurs familles. Les autorités saoudiennes ont obligé leurs ressortissants à boycotter ce pays. Le nombre de touristes saoudiens passa de 55.000 en 1988 à moins de 3. 000 en 1992.
En mars 1990, le gouvernement saoudien a désigné Mohammed Said Khoja comme envoyé spécial chargé de résoudre l'affaire ….Prévue pour une période de trois ans, l’affaire traine encore jusqu’à aujourd’hui.
Le 20 mars 1992, la voiture du commissaire de police, Anand Yupanont a été percutée et poussée dans un ravin par un camion…. Ce policier, allait révéler, semble-t-il, des informations. Il a décédé suite à l’accident. Sept bijoutiers Singapouriens qui revendaient des diamants parmi ceux volés, ont été aussi assassinés…. Deux autres se sont mis sous la protection des autorités singapouriennes et ont informé Mohammed Said Khoja qu'ils avaient achetés les pierres à un officier de police Thaïlandais, ignorant leur réelle provenance.
Trois autres personnes qui ont approchés les fameux bijoux du prince Fayçal ben Fahd furent liquidés aussi par des tueurs inconnus. un policier tué par balles, le directeur de la chambre de commerce de Prachinburi et son chauffeur ont été, quant à eux, étranglés.
En mars 1993, la femme du chef de la police, Sawadi Amomwiwat fut prise en photo par un journaliste alors qu'elle portait un collier composé de bijoux volés au prince Fayçal….En août 1994, un bijoutier thaïlandais, Santi Srithanakhan déclara savoir où se trouvaient les pièces volées. Quelques jours après sa femme et son fils ont été trouvés sans vie au bord d’une route nord de Bangkok. La police a déclaré au départ que c'était un assassinat, puis se ravisa, le transformant en meurtre.
Said Khoja a menacé de révéler publiquement les noms des hautes personnalités impliquées dans cette histoire. Une partie de la vérité fut révélée. Début 2002 deux officiers supérieurs, dont un lieutenant général, de la police a été condamnés à 7 ans de prison pour corruption et kidnapping. Un autre lieutenant général fut accusé de meurtre. En 2006, le commissaire Chalora été condamné à 20 ans de prison pour l'assassinat de la femme et du fils de Santi Srithanakhan. Beaucoup d'observateurs pensent cependant que ces officiers ont été sacrifiés pour couvrir des poissons beaucoup plus gros.
L’Arsène Lupin Thaï, Kriangkrai Techamond au départ de l’incroyable histoire qui pourrit plus que jamais les relations entre les deux royaumes, a été amnistié par le roi thaïlandais après avoir passé deux ans et demi en prison.
La question qui se pose et s’impose. Pourquoi les autorités saoudiennes ont-elles choisi ce moment pour refaire pression sur leurs vis- à-vis thaïlandaises, et surtout par ce récent document appelant plusieurs chancelleries à les soutenir dans cet imbroglio digne du plus hard des polars et ce mentionnant le nom de l’homme d’affaires Ruwaily et non ceux des trois diplomates saoudiens tués.