La chèvre de Monsieur Seguin
M. Seguin n'avait jamais eu de bonheur avec ses chèvres. Il les perdait toutes de la même façon :
un beau matin, elles cassaient leur corde, s'en allaient dans la montagne, et là-haut le loup les mangeait. Ni les caresses de leur maître, ni la peur du loup, rien ne les retenait. [...] M. Seguin s'apercevait bien que sa chèvre avait quelque chose, mais il ne savait pas ce que c'était... Un matin, comme il achevait de la traire, la chèvre se retourna et lui dit dans son patois :
« - Écoutez, monsieur Seguin, je me languis chez vous, laissez-moi aller dans la montagne.
- Ah ! mon Dieu ! Elle aussi ! » cria
M. Seguin stupéfait, et du coup il laissa tomber son écuelle; puis, s'asseyant dans l'herbe à côté de sa chèvre
« Comment, Blanquette, tu veux me quitter ! »
Et Blanquette répondit :
« Oui, monsieur Seguin.
- Est-ce que l'herbe te manque ici ?
- Oh ! non ! monsieur Seguin.
- Tu es peut-être attachée de trop court, veux-tu que j'allonge la corde ?
- Ce n'est pas la peine, monsieur Seguin.
- Alors, qu'est-ce qu'il te faut ? qu'est-ce que tu veux ?
- Je veux aller dans la montagne, monsieur Seguin.
- Mais, malheureuse, tu ne sais pas qu'il y a le loup dans la montagne... Que feras-tu quand il viendra ?
- Je lui donnerai des coups de cornes, monsieur Seguin.
- Le loup se moque bien de tes cornes. Il m'a mangé des biques autrement encornées que toi... Tu sais bien, la pauvre vieille Renaude qui était ici l'an dernier ? une maîtresse chèvre, forte et méchante comme un bouc. Elle s'est battue avec le loup toute la nuit... puis, le matin, le loup l'amangée.
- Pécaïre ! Pauvre Renaude ! ... Ça ne fait rien, monsieur Seguin, laissez-moi aller dans la montagne.
- Bonté divine! ... dit M. Seguin ; mais qu'est-ce qu'on leur fait donc à mes chèvres ? Encore une que le loup va me manger... Eh bien, non...