C’est ce système qui peut faire parler du pessimisme de La Rochefoucauld. En effet, l’homme paraît bien faible dans les Maximes. C’est que l’œuvre enregistre le changement d’état d’esprit qui s’est opéré dans les milieux fréquentés par La Rochefoucauld. En 1641, dans Cinna ou la clémence d’Auguste, Corneille fait dire à l’empereur Auguste, qui vient de décider de faire preuve de clémence en pardonnant leur trahison à Cinna, Emilie et Maxime:
En est-ce assez, ô ciel ! et le sort, pour me nuire,
A-t-il quelqu’un des miens qu’il veuille encor séduire ?
Qu’il joigne à ses efforts le secours des enfers :
Je suis maître de moi comme de l’univers ;
Je le suis, je veux l’être. Ô siècles, ô mémoire,
Conservez à jamais ma dernière victoire ! (vers 1693-1698, scène 3 et dernière de l’acte V)
Corneille dans la dédicace de Cinna, range la clémence parmi les " héroïques vertus ". En 1664, La Rochefoucauld, lui, écrit que " la clémence des princes n’est souvent qu’une politique pour gagner l’affection des peuples. " (M. 15) Il dégonfle ainsi la vertu héroïque, en l’assimilant à une froide manipulation de l’amour-propre. Relisons l’épigraphe des Maximes : " Nos vertus ne sont, le plus souvent que des vices déguisés. " Non seulement le grand homme trompe les autres, mais il se trompe lui-même. De Corneille à La Rochefoucauld, de l’exaltation du héros à sa " démolition ", selon le terme de Paul Bénichou, l’image des grands s’est dégradée. Cette dégradation est due à l’échec de la Fronde, et à l’affirmation du pouvoir monarchique, qui voit dans la haute noblesse un ennemi puissant, mais aussi au succès grandissant du jansénisme.