Pourquoi lire Flaubert?
Considéré de son vivant comme le chef de file de l'école réaliste, inspiré par Honoré de Balzac et modèle de Guy de Maupassant, entre autres, Gustave Flaubert n'était pas l'archétype de l'écrivain génial à qui les phrases viennent aisément. Ce travailleur acharné, qui pouvait passer des heures enfermé dans son cabinet de Croisset, recherchait plus que tout la perfection stylistique, criant ses phrases dans une pièce close pour en tester l'esthétique. S'intéressant aux mœurs bourgeoises et provinciales, Flaubert s'autorise des licences grammaticales pour coller au plus près à la réalité du discours qu'il retranscrit et développe des particularités stylistiques qui font office encore aujourd'hui de marques de fabrique : un emploi original de l'imparfait de l'indicatif, de la conjonction « et » et des adverbes qui donnent un rythme majestueux à ses phrases.
Pourtant, si l'on garde l'image d'un Flaubert studieux, le jeune homme qui n'était pas encore surnommé « l'ermite de Croisset » avait été renvoyé du lycée pour indiscipline et nourrissait une passion secrète pour une femme mariée rencontrée sur une plage normande. Par nature, Flaubert était un vrai romantique, comme cela peut apparaître dans ses écrits de jeunesse. Mais découragé par les critiques de ses amis Louis Bouilhet et Maxime du Camp sur La Tentation de Saint Antoine, il se força à renoncer au lyrisme. Flaubert devint alors l'observateur le plus affuté de son temps, offrant des peintures de caractère si vraies qu'elles offusquèrent la morale de l'époque et lui valurent un procès.
Son réalisme était jugé « vulgaire et souvent choquant » pour la bonne raison qu'il dépeignait la vérité sans fard. Grand moraliste, il appliqua son regard pessimiste et ironique à tous les sujets, à mi-chemin entre posture naturaliste et analyse psychologique. On lui doit notamment la création d'un type maintes fois repris, celui de la femme insatisfaite qui rêve d'une vie romanesque. Emma Bovary a même donné son nom à un syndrome psychologique, le bovarysme. Une reconnaissance pour un écrivain qui vécut très mal le succès dû au scandale de son livre puis l'échec relatif de Salammbô, roman historique plongeant au cœur de Carthage, et de L'Education sentimentale.
Bienveillant envers ses personnages, même les plus critiqués comme le falot Frédéric Moreau, Flaubert se contentait d’une description minutieuse de la vie de son époque, refusant d’émettre un jugement. Car, d’après lui, « la bêtise consiste à vouloir conclure ». Il préféra toujours se glisser dans la peau de ses personnages, n’hésitant pas à affirmer « Madame Bovary, c’est moi », plutôt que de les considérer d’un point de vue extérieur ou supérieur. Extraordinairement exigeant envers lui-même, Flaubert produisit des romans peu nombreux mais profondément travaillés, tant sur le fond que sur la forme. Il s'éteignit à Croisset le 8 mai 1880, laissant inachevé Bouvard et Pécuchet, roman recensant les préjugés de la bêtise humaine.