«Il y avait plusieurs points d'eau classiques. Dans les grandes villes, on prélevait une partie de l'eau directement dans les fleuves. La Tamise avait beau être noire comme de l'encre, on y puisait tout de même au gré des besoins.» Les fontaines publiques étaient l'autre grand point d'approvisionnement. Dans toute l'Europe, elles étaient un lieu de vie et de sociabilité essentiel. «À Paris, on faisait la queue à la célèbre fontaine de la Samaritaine, ou place Saint-Sulpice. Mais la fontaine la plus réputée était celle de Passy ; l'eau surgissait naturellement du sous-sol et sa qualité était supérieure à la moyenne, croyait-on.» Mais, «hormis les fontaines publiques, il n'y avait pas d'eau gratuite, rappelle Jean-Pierre Goubert. L'eau appartenait toujours à quelqu'un, au seigneur du lieu».
«Au XIXe siècle, partout en Europe, explique-t-il, les besoins en eau étaient à peu près les mêmes. Une vingtaine de litres par personne et par jour, dont sept pour boire, cuisiner et entretenir son corps. Le reste était employé pour le ménage et les industries diverses.» À Paris, capitale européenne de l'eau et de l'assainissement, la demande progressa, d'une dizaine de litres à la veille de la Révolution, à cent vingt litres en 1890.
Son prix, assez élevé, freina longtemps les progrès de l'hygiène. Un bain valait environ un franc, soit le tiers d'une journée de travail. «Un porteur d'eau chauffait l'eau sur la voie publique. Puis, il la montait à l'étage, pour un prix proportionnel à la hauteur des escaliers. La baignoire, faite de toile pour éviter les échardes, était également louée. Bien entendu, on se baignait tout habillé. À la rigueur, on diluait de grosses quantités de sel dans l'eau pour ne pas voir son corps : la nudité était un péché.» Jusqu'à la domestication de l'eau, on se lavait peu. «Dans les milieux populaires, on était persuadé que la saleté protégeait des maladies. Quant aux couches plus évoluées, elles couvraient les mauvaises odeurs en s'aspergeant d'eau de Cologne, qui avait également pour vertu de tuer certains microbes.»