L’absence de jugement concerne en effet tous les protagonistes. Le dictateur d’abord, puisqu’il s’appuie sur des raisonnements absurdes, ce dont il devrait avoir conscience (la difficulté pour un aveugle de décider des couleurs). Cette absence concerne aussi les aveugles qui suivent les préceptes dispensés sans s’interroger sur leur pertinence, alors même que le regard extérieur les alerte. Qui s’abandonnent enfin aux lois et à l’obscurantisme.
Mais plus encore, l’humour de la chute vient délivrer une morale double. Une morale d’abord qui n’en est pas une au cœur du récit puisqu’elle s’appuie sur un jugement interne au récit mais vient le conforter dans son absurdité. Clore un récit en délivrant une morale qui va dans le sens de ce qui est critiqué est une chute peu commune, renforcée par l’humour qui en émane, et figure une boucle sans fin d’absence de jugement.
Cette chute permet cependant une autre morale, extérieure au texte et qui touche au lecteur. Au-delà des protagonistes initiaux de l’histoire, et par cette réaction du dernier personnage se greffe une réflexion sur les hommes qui regardent, auxquels on apprend, par le récit, mais qui n’en tirent pas leçon et à leur tour délivrent des inepties.
La force argumentative de la fin est ainsi dans un premier temps déviée puis renforcée par cette double instance.